Né dans l'Aisne en 1889, Clovis Trouille fréquente
l'école des Beaux-Arts d'Amiens de 1905 à 1910, et devient peintre illustrateur.
Travaillant pour des journaux régionaux, il se fait d'abord remarquer en 1907 par
une toile impressionniste intitulée " Paysage au vieux mur ", puis la même
année par une autre toile" Palais des Merveilles" qui illustre une fête
foraine où il présente des femmes aux déshabillés suggestifs, qui marque à partir de
là son goût pour la provocation et l'érotisme.
A partir de 1920, installé à Paris, et employé comme maquilleur-retoucheur dans une
fabrique de mannequin en cire pour vitrines de magasins, il commence à développer une
oeuvre subversive, antimilitariste, et anticléricale.
Lors d'une exposition à laquelle il participe en 1930, il est remarqué par les
surréalistes tels André Breton, Dali et Aragon, pour une toile intitulée "
Remembrance" sur laquelle sont représentés un prêtre et un académicien exprimant
une lubricité des plus explicites.
La voyeuse
C'est à la suite de cette exposition qu'il se rapproche des surréalistes, tout en
travaillant de manière très solitaire à son oeuvre personnelle.
Bien que signataire de tracts surréalistes en 1948, 1949 et 1951, Clovis Trouille n'a
participé que de manière périodique à l'activité du groupe. C'est à Salvador Dali
qu'il doit son goût pour une technique picturale soignée, proche de l'exactitude
photographique, mais dans le style particulièrement anticonformiste qui est le sien.
Sensible aux ornements, aux costumes religieux, à la pompe des cérémonies, il trouve
dans cette solennité, sous son air tranquille, matière à exprimer ses conceptions
anticléricales, antimorales et antisociales : ces robes, ces costumes, ces déguisements,
offrent pour lui un charme trouble, équivoque, et subversif, et l'envie de dévoiler tout
ce qui se cache dessous ou derrière. Il s'interrogeait : « J'ai toujours été contre
l'imposture des religions. Est-ce en peignant la cathédrale d'Amiens que j'ai pris
conscience de tout ce music-hall ? »
Les dessous féminins, les prêtres érotiques, les nonnes cloîtrées laissant parler
leurs corps, qu'il représente comme dans " Rêve Claustral ", témoignent sans
aucun doute de son anticonformisme, mais aussi de la pure expression de la réalité
naturelle des hommes et des femmes, à la recherche de leur jouissance de la vie.
Auteur d'environ 120 tableaux, Clovis Trouille aborde sous différentes formes ses thèmes
favoris que sont l'érotisme, la mort, la religion, la patrie, dans une recherche
iconoclaste et parodique, et une critique parfois violente de la société.
Sa peinture magnifiquement libre, exaltant la couleur et la liberté des moeurs, fait de
lui un peintre totalement à part dans la mouvance surréaliste.
Revendiquant ses influences de la Renaissance, Clovis Trouille disait qu'il n'y avait pas
eu de grands peintres entre Léonard de Vinci et lui, que Max Ernst et Miro n'étaient que
des "barbouilleurs".
Rêve claustral
Il resta peu connu car il n'a jamais recherché les honneurs ou la gloire. N'ayant presque
jamais participé à aucune exposition autres qu'à quelques unes du Salon des
Indépendants, il peignait pendant ses loisirs des toiles où les thèmes de
l'anticléricalisme et de l'antimilitarisme revenaient en permanence. Complainte
Il se disait avoir été très traumatisé par la Première Guerre mondiale, et manifesta
à toute occasion son antimilitarisme, et son attachement depuis toujours aux idées
anarchistes, ce jusqu'à sa mort en septembre 1975 dans la région parisienne.
Rosa
Clovis Trouille anar, mécréant, auto-didacte, détestait se séparer de ses toiles. Son plus grand collectionneur, celui qui parle le mieux de lui aussi, est Daniel Filipacchi. Éditeur et patron de presse, Daniel Filipacchi –“l’homme qui a lancé Lui et salut les copains”- raconte dans Beaux-Arts Magazine, que pour obtenir le droit d’avoir quelques toiles du maître, il fallait accepter de les lui rendre, régulièrement… “Clovis Trouille ne voulait rien vendre. Je lui ai proposé de faire un livre sur lui. Nous sommes devenus amis et il m’a cédé une toile représentant des bonnes sœurs s’embrassant. Un peu plus tard, il m’appelle et me demande de lui rapporter la toile… J’étais un peu inquiet pensant qu’il cherchait à la récupérer. Il m’a simplement dit qu’il voulait la garder quelques jours et quand il me l’a restituée, il avait ajouté quelque chose: la bonne sœur dans le trou, captivée par la scène du baiser entre deux nonnes. Un an plus tard, il me demande de revenir encore une fois avec le tableau. Et encore une fois il le garde pendant plusieurs jours. Quand il me le rend, il a ajouté deux petits livres de messe tombés sur le sol. Une troisième fois, Clovis Trouille me fait savoir qu’il voudrait encore ajouter un petit détail à son œuvre “inachevée”. Cette fois, il garde la toile assez longtemps et quand il me la rend, je n’ai pas tout de suite remarqué ce “petit détail”: un grain de beauté sur la cuisse dénudée de la bonne sœur.”
Source : Le Monde des Arts